La loi du mariage pour tous votée
le 23 avril par le Parlement et publiée au journal officiel le 18 mai dernier
autorise le mariage entre personnes du même sexe. Les contestataires n’ont pas
dit leur dernier mot. Car ils opposent la légitimité à la légalité d’une loi. Ils
continuent à battre le pavé pour manifester leur désapprobation d’une telle loi
qui bouleverse radicalement la conception familiale. Car derrière le mariage
pour tous, se profile les questions de la procréation médicalement assistée
(PMA) et de la gestation pour autrui (GPA). Ligne rouge à ne sans doute pas
franchir.
C’est pourquoi, le mariage pour
tous aura profondément divisé le pays et soulevé les passions comme jamais sans
doute depuis l’abolition de la peine de mort en 1981. C’est une réforme
sociétale indéniable auquel s’est livré le gouvernement actuel. Mais c’est
aussi une avancée considérable pour la communauté gay qui peut à l’instar des couples hétérosexuels se marier. Les
droits du conjoint et des enfants élevés par le couple homo sont ainsi garantis
tout en n’enlevant aucun droit aux hétéros. Les premiers mariages gays auront lieu à partir du mercredi 29
mai. La énième manifestation pour tous des antimariage gay s’est encore terminée dans une bataille rangée entre forces de
l’ordre et jeunes radicaux ou casseurs à Paris dimanche 26 mai. Celle-ci a
rassemblé plus d’un million selon les organisateurs et 150 000 selon la
police. Parmi ces jeunes radicaux, on retrouve ceux du Printemps français,
mouvance d’extrême droite reprenant les thèmes de combat des mouvements catholiques
de la fin du XIXème siècle et des mouvements néo-fascistes. Manuel Valls,
ministre de l’Intérieur, pense même à interdire ce groupuscule. Des menaces de
mort de la part de certains de ses membres auraient été proférées contre l’égérie
du mouvement, Frigide Barjot. Celle-ci s’est d’ailleurs abstenu de participer
à la manif de hier.
Que peut-on dire à propos du
Printemps français ? Sa porte-parole, Béatrice Bourges le qualifie d’ « insurrection de la conscience ». Selon
elle, ce mouvement revendique « un héritage pluriel : le franc-parler
des prophètes juifs, la sagesse gréco-romaine, la fraternité évangélique, la
liberté des Lumières, les luttes populaires pour la justice sociale …»
(Le Monde du 19 avril 2013). Références
étonnantes de la part d’une représentante d’un mouvement réactionnaire comme
celui-ci. D’autant plus quand on sait que la sagesse gréco-romaine dont elle se
prévaut ne blâmait pas l’homosexualité en tant que telle qui était largement
répandue dans les sociétés antiques d’ailleurs. Plutôt que d’homosexualité, il
serait plus correct d’employer l’expression d’amours masculines, car les Grecs
et les Romains de l’antiquité ignoraient le concept d’homosexualité. Les amours
masculines faisaient partie de comportements reconnus à cette époque, destinés
à l’éducation des jeunes hommes pour leur entrée dans la vie adulte. La
relation s’inscrivait entre un partenaire plus âgé et actif dans le rapport
sexuel (éraste) et l’élève qui est
passif (l’éromène). Quant à la Rome antique, une loi, la loi
Scantinia datant de 149 avant notre ère, reprise par la législation augustéenne
punissait le viol d’adolescents de condition libre et les vierges de naissance
libre, non pas tant du point de vue de l’orientation sexuelle en tant que telle
mais du rôle joué dans la relation suivant le dualisme actif/passif. Comme le
dit l’historien Paul Veyne : « Prendre
du plaisir virilement ou en donner servilement, tout est là » (Paul
Veyne, « Rome : une société d’hommes », L’histoire, n°30, pp. 76-78). L’homosexualité était synonyme de
virilité dans l’antiquité. L’efféminé était même l’objet d’opprobre. Le poète
comique grec Aristophane raille volontiers un efféminé qui s’épile comme les
femmes mais vante dans sa pièce Les nuées,
le temps où les adolescents se gardaient de « se frotter d’huile plus bas que le nombril : aussi quel frais et
tendre duvet sur leurs organes comme sur les coings » (cité par
Maurice Sartre, Professeur d’histoire antique à l’université de Tours dans son
article « Les amours grecques : le rite et le plaisir », L’histoire, n°221, mai 1998, pp. 30-36).
Le corps masculin était magnifié. Les statues de dieux comme Apollon ou celles
d’Hermès au carrefour des routes l’attestent.
Les femmes, les grandes absentes
de la vie publique et de l’art dans la
Grèce antique (à part les statues de korai sur les frontons
des temples), pouvaient connaître des expériences similaires à celles des
hommes. En atteste la fameuse école pour jeunes filles issues de milieux aisés,
la thiase, fondée par la poétesse Sapho sur l’île de Lesbos (d’où le nom
lesbienne) au VIIème siècle av. J.-C et qu’on retrouve aussi en Grèce
continentale, notamment à Sparte. Ces thiases consistaient en une période de vie
communautaire où elles y apprenaient la musique, le chant et la danse. Mais pas
que. D’après les poèmes de Sapho, on sait que la maîtresse pouvait entretenir
une relation amoureuse avec ses élèves. Une union pouvait même être célébrée
entre deux jeunes filles sur le modèle matrimonial, mais sans signification
juridique. La relation amoureuse pouvant intervenir entre deux adolescentes à
la différence des garçons (Eva Cantarella, « Les disciples de Saphos »,
L’histoire, n°221, mai 1998, pp. 34).
Qualifiée d’abomination dans la Bible , l’homosexualité est condamnée
par notre société de tradition judéo-chrétienne depuis le Moyen-âge. Le terme même
d’homosexualité est forgé par un médecin autrichien, Karoly Maria Kertbeny en
1869. Mais il sert à désigner à l’époque une perversion. Il a fallu attendre la théorie du « troisième sexe » par le médecin
allemand et militant homosexuel lui-même, Magnus Hirschfeld, fondateur du WhK (Wissenschaftlich humanitäres Komitee :
comité scientifique humanitaire) à Berlin, pour que cette orientation sexuelle
soit mieux connue et moins pourchassée. Ce qui n’empêcha pas le maintien du
paragraphe 175 du code pénal allemand datant de 1872 et qui condamnait « les actes contre-natures » entre
deux hommes. Cette loi a connu une longévité puisqu’elle n’a été abrogée qu’en
1994. Pour la question de l’homosexualité durant le IIIème Reich en Allemagne, je vous renvoie à l’excellent livre de
Thomas Rozec, Le IIIème Reich et les homosexuels, 2011.
Quant à la France , elle a très tôt
dépénalisé l’homosexualité puisque le code pénal de 1810 inspiré des droits de
l’homme, décriminalisait cette pratique sexuelle.
Pour en revenir aux
manifestations actuelles contre le mariage pour tous et le Printemps français,
selon l’historien Grégoire Kaufmann, cette mouvance est l’héritière de l’Action
française de l’écrivain royaliste Charles Maurras. Béatrice Bourges a elle-même
subi la forte influence d’Ichtus, émanation de l’association maurassienne la Cité catholique (Grégoire
Kaufmann, « Un climat politique qui rappelle la fin du XIXème siècle, non
les années 1930 », Le Monde, 19
avril 2013).
Bref, le combat contre l’intolérance
et l’obscurantisme risque de durer longtemps avec ces mouvances d’extrême-droite
qui ne rassemblent pas que des “bisounours“ !
Marc Gidrol
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