Affiche publicitaire de Banania de 1936 représentant un tirailleur sénégalais goûtant du chocolat Banania. Cette image illustre les clichés dont furent victimes les Noirs : d'une intelligence faible, niais, parlant mal le français et resté comme un enfant. Source de l'image : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Banania.jpg. |
La parole raciste a repris de la
voix depuis quelques jours en France, comme l’illustrent les injures racistes
envers Christiane Taubira, la
Garde des Sceaux, de la part de manifestants opposés au
mariage pour tous ou de candidats du Front national aux prochaines municipales
sur le réseau social Facebook, relayées dans la presse d’extrême droite avec
l’injure qu’a publié sur sa Une le journal Minute :
« Maligne comme un singe, Taubira
retrouve la banane [1]».
Ces injures sont bien sûr de la diffamation à caractère raciste et rappellent
les stéréotypes apposés aux Noirs sous la IIIème République ,
au début du XXème siècle, comme la publicité : « Y’a bon Banania », pour une célèbre marque de cacao en poudre.
Dans le dictionnaire, le racisme c’est une idéologie qui affirme la
différence des races et la supériorité de certaines, en prônant souvent
l'élimination des autres.
La ministre de la Justice condamnant ces propos qui lui "dénient son appartenance à la famille humaine", mercredi 13 novembre sur le plateau du JT de 20 h 00 sur France 2 a décidé de ne pas porter plainte, car elle estime que "la Justice ne peut pas porter toute la charge", la société doit aussi s'interroger" sur ce phénomène. "Nous allons livrer bataille parce que nous avons des batailles sémantiques et culturelles à livrer, nous avons des conquêtes politiques à refaire et nous sommes bien déterminés à le faire", a-t-elle conclu l'entretien.
Dès l’antiquité, ceux qui étaient
différent par leurs cultures, leur religion, leurs coutumes ou leur langue
étaient rejetés de la société et enfermés dans un statut d’esclave proche de
l’animal. C’est vrai des Grecs qui appelaient « barbaros »,
c’est-à-dire barbares, ceux qui ne parlaient pas le grec. Pour les Romains les
« barbari » étaient ceux qui ne parlaient ni grec, ni latin.
Même si ils ont progressivement unifié tout le bassin méditerranéen, qu’ils
appelaient « Mare Nostrum », « notre mer », sous l’Empire
romain en y incluant des peuples étrangers comme les Gaulois. A la différence
qu’à cette époque, les esclaves pouvaient à tout moment être affranchis, donc
revenir dans le giron de l’humanité et même devenir des citoyens.
Au Moyen-Âge, ce furent les
Musulmans et les hérétiques puis les Juifs qui furent l’objet de persécutions.
Jusqu’au Xème siècle, les Juifs furent tolérés et protégés au nom d’origines
bibliques communes, étant le peuple du Livre élu par Dieu dans l’Ancien
Testament. Mais à partir du 11ème siècle, parallèlement aux
croisades menées contre les Infidèles en Terre Sainte, l’attitude des
Catholiques envers les Juifs changea[2]. Ils étaient vus comme un
corps étranger en terre catholique. Le phénomène ne fut pas visible seulement
en France, mais aussi en Espagne, en Angleterre. Ils furent accusés de s’être
éloignés de la Loi
de Dieu en vénérant le Talmud, livre religieux pour les Juifs écrit après
l’exode de Jérusalem. Dès lors, ils n’étaient plus vus comme des frères des
Chrétiens mais comme des ennemis. Un antijudaïsme (a ne pas confondre avec
antisémitisme, qui là à la différence de la notion religieuse est un rejet du
peuple juif en tant que tel) virulent fut décidé contre eux par les autorités
royales[3].
Le Roi très Chrétien Saint Louis
(1214-1270), cherchant à suivre la voie de Jésus Christ avec un zèle peu commun
au point de se flageller lui-même avec un martinet muni de boules de plomb ou
de porter la cilice, étoffe rugueuse portée à même la peau dans le but de faire
pénitence, pour ressentir dans sa chair la Passion du Christ, aurait dit d’après le
Chroniqueur Guillaume de Chartres en parlant des Juifs : « Qu’ils abandonnent les usures ou bien
qu’ils sortent tout-à-fait de ma terre pour qu’elle ne soit plus souillée par
leurs ordures[4] ». Les actes
suivirent les paroles. En 1250, un édit fut pris leur interdisant de pratiquer
l’usure et d’emprunter de l’argent. Des ordonnances d’expulsion en 1253, 1254
et 1256 furent prises contre eux. Vingt quatre charrettes remplies de Talmud
furent envoyées au bûcher place de Grève à Paris en 1240. Le port de la rouelle (morceau
d’étoffe, représentant une roue qui symbolise les 30 deniers de l’apôtre Judas)
leur fut imposé en 1269.
D’autres peuples furent bientôt
victimes de racisme, ceux d’Amérique. Lors de la découverte du nouveau monde,
les Européens se demandèrent si les peuplades habitant ces terres, « les hommes nus[5] »,
les Indiens d’Amérique, avaient une âme. Une controverse opposa les défenseurs
des Indiens menés par Bartolomé de Las Cassas (1474-1566), un missionnaire à
Cuba contre ceux qui voyaient en eux des animaux, donc des esclaves, lors de la
controverse de Valladolid en août 1550 qui s’acheva sur la victoire précaire
des premiers. En 1625, le dominicain T. Ortiz, reprit l’offensive des opposants contre la thèse victorieuse en déclarant qu’ils étaient anthropophages, qu’ils
n’avaient aucune justice, qu’ils vivaient nus, qu’ils étaient stupides, cruels
et menteurs et que « jamais Dieu
n’a crée une race plus pleine de vices, race faite sans la moindre trace de
bonté ni de culture[6] ».
Étymologiquement, c’est à la fin
du Moyen-Âge que le mot « Racisme » commence à être employé. Il provient
du terme latin ratio qui signifie au sens premier du terme : "calcul", mais
aussi "évaluation". A la fin du Moyen Âge il a commencé à être employé à la place
de « generatio » dans le sens d’ « espèce », « descendance »
pour hiérarchiser les races de chevaux et de chiens. Très vite, le mot en est
venu à être appliqué pour les hommes. Philippe de Commynes (1447-1511) est le
premier auteur à avoir employé dans ses Mémoires
le mot « race » dans le sens de « lignages » de Philippe de
Lalaing. Le mot n’avait évidemment pas le sens qu’on lui connaît aujourd’hui,
il avait une connotation sociale et politique pour légitimer la suprématie des
anciens nobles sur le reste de la société. Ainsi, Florentin Thierrat dans son traité sur la noblesse au début du
XVIIème siècle écrit : « Ainsi,
le gentilhomme né d’une bonne et ancienne race, et bien nourri et enseigné,
fait paraître ses vertus avec beaucoup
plus d’éclat que les anoblis de nouveaux [7]».
Le juriste Charles Loyseau a
encore été plus clair dans son Livre des
ordres et simples dignités en
1610 lorsqu’il écrit : « Nous
ne pourrions vivre en égalité de condition[8] ».
On ne peut être plus clair. C’est au début du XVIIIème siècle qu’un auteur, le
comte Henry de Boulainvilliers fait remonter les origines de la vieille
noblesse aux Francs, vainqueurs des Gaulois ou Gallo-romains aux V et VIème
siècles, légitimant par là même leur pouvoir et leurs prétentions face à la
monarchie absolue.
Très vite le pas a été franchi
pour que le racisme s’applique à des peuples. Le siècle des Lumières au
XVIIIème siècle a accouché en même temps que les droits de l’homme et du
citoyen, de la justification accrue de l’esclavage déjà codifiée par le Code
noir de Colbert en 1685. Ce code a été en vigueur jusqu’en 1848, date de
l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher. « Une espèce d’homme différente de la nôtre [9]» serait faite pour nous
servir, la « race des nègres »
selon les propres mots du philosophe Voltaire qui possédait des capitaux dans
la traite négrière. Selon lui, « si
leur intelligence (celle des Noirs) n’est
pas d’une autre espèce que notre entendement, elle lui est fort inférieure[10] ».
L’écrivain Fontenelle écrit dans ses Lettres
galantes à une femme qui a reçu en cadeau un singe et un négrillon :
« L’Afrique s’épuise pour vous,
Madame, elle vous envoie les deux plus vilains animaux qu’elle ait produite [11]». Le statut d’infériorité
accordé aux Noirs par rapport aux Blancs, comme on le voit, remonte à loin, et
les relègue dans le règne de l’animalité. Deux visions se contredisent alors
sur les peuplades nouvellement découvertes. D’un côté, le mythe du « bon
sauvage » cher à Rousseau, habitant des terres vierges de toute emprise
européenne est avancé, de l’autre il s’agit d’hommes vus avec méfiance dans un
monde obscur.
Planche tirée d'un manuel scolaire, Le tour de France par deux enfants, utilisé dans les écoles de 1877 à 1950 intitulée "Les 4 races" et ayant pour but de montrer la supériorité de la race blanche sur les autres races. Théorie scientifique du XIXème siècle qui a justifié la colonisation menée par Jules Ferry sous la IIIème République. Source de l'image : http://www.eliecilicie.net/races.htm |
Au XIXème siècle, les
scientifiques débattent sur la question de savoir si tous les hommes sont
égaux. C’est Arthur de Gobineau qui le premier théorise les inégalités entre
les hommes dans son Essai sur l’inégalité
des races humaines entre 1853 et 1855. Mais la race n’est pas encore
entendue au sens actuel de classement entre les individus à des fins politiques
comme cela a été poussé à son paroxysme au XXème siècle par les génocides dont
celui de 6 millions de Juifs durant la Seconde
Guerre mondiale. Au XIXème, le mot n’est qu’un concept
scientifique. Néanmoins, ce concept sert à légitimer l’esclavage aux Etats-Unis
jusqu’à la guerre de Sécession (1861-1865). Des scientifiques se basent sur la Bible et la science pour
prouver le bien-fondé de l’esclavage. Josiah Nott (1804-1873) un médecin et
chirurgien américain avance même que le Noir ressemble au singe par un crâne
plus petit, un front réduit, ce qui laisse peu de place au cerveau, des lèvres
épaisses, une denture qui s’apparente à celle d’un carnivore, ses bras longs et
enfin, ses jambes courtes[12].
Les attaques dont fait l’objet la Ministre de la Justice rappellent des
heures sombres de notre histoire nationale pas si lointaine que cela. Dans les
années 30 et pendant la Seconde Guerre
mondiale, les attaques antisémites et racistes étaient légions de la part des
ligues d’extrême droite avec l’approbation tacite d’une partie de la
population. En 1936, lors de la victoire du Front populaire, nombreuses furent
les injures racistes et antisémites contre des membres du gouvernement de Léon Blum
dans la presse d’alors. Surtout dans les journaux d’extrême droite
d’alors : Je suis partout, Gringoire, L’Action française. Suite à la campagne calomnieuse contre Roger
Salengro, ministre de l’Intérieur dans ces périodiques, accusé de désertion en
1914, condamné à mort par contumace par un conseil de guerre et siégeant dans
un ministère juif selon eux. Il se suicida le 17 novembre 1936[13]. L’opinion publique fut atterrée
par ce fait. Le Cardinal Liénart alla jusqu’à dire à ses obsèques :
« Une presse qui se spécialise dans
la diffamation n’est pas chrétienne [14]».
En décembre de la même année, une loi réprimant la diffamation par voie de
presse fut votée[15].
Il fallut attendre encore la loi du 1er juillet 1972 introduisant un délit de provocation « à la discrimination, à la haine ou à la
violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur
origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée [16]» et qui complétait la loi
du 29 juillet 1881 sur la presse, pour que le racisme soit puni pénalement.
Le racisme qui a une longue
histoire, est toujours prêt à ressurgir, même au XXIème siècle, à l’ère d’un
monde dans lequel tous les peuples sont connectés par les nouvelles
technologies et l’avion. Ces événements ont aussi une tonalité particulière en
ce moment, alors que nous célébrons les 30 ans de la « Marche pour
l’égalité et contre le racisme », surnommée la « Marche des beurs »,
partie de Marseille le 15 octobre 1983 et arrivée à Paris le 3 décembre de la
même année. Comme le dit l’historienne Madeleine Rebérioux, « refoulé (le racisme), celui-ci ressurgit [17]».
Marc Gidrol
[1]
Edition du journal Minute du 12
novembre 2013.
[2]
Dominique Iogna-Prat, « Le Moyen-Âge était-il antisémite ? », L’histoire, octobre 1997, n°214,
pp.32-33.
[3]
Joël Cornette, « Préhistoire de la pensée raciste », L’histoire, octobre 1997, n°214,
pp.26-31.
[4] Idem.
[5] Ibidem.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem.
[8] Ibidem.
[9]
Ibidem.
[10]
Ibidem.
[11]
Ibidem.
[12]
André Kaspi, « Démocratie et ségrégation : le système
américain », L’histoire, octobre
1997, n°214, pp. 42-44.
[13]
Domimique Borne et Henri Dubieff, La
crise des années 30, 1929-1938, Paris, Editions du Seuil, 1976, réédité en
1989, p.180.
[14]
Idem.
[15]
Ibidem.
[16]
Loi n° 72-546 du 1er juillet
1972 relative à la lutte contre le racisme sur le site internet : http://www.legifrance.gouv.fr.
[17]
Madeleine Rebérioux, « Le racisme et la loi », L’histoire, octobre 1997, n°214, pp. 52-53.
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