C’est le parti de Marine Le Pen
qui est arrivé en tête au soir du dimanche 25 mai en le faisant ainsi le
premier parti de France ! Un électeur sur quatre ayant voté FN ! C’est
un message de défiance envoyé aux institutions européennes, en même temps qu’un
mauvais signal. La France
ne peut pas s’isoler du reste du monde. Déjà, aux élections européennes du 17
juin 1984, le FN de Jean-Marie Le Pen à l’époque avait remporté beaucoup de
suffrages et donc un bon score : 10,95 % et 10 sièges. Presque autant que
le parti communiste (11,20 %) et
également 10 sièges. À cette époque, le traité de Maastricht et les suivants
n’étaient pas passés encore par là, ni la monnaie unique, l’Euro, ni la
réunification de l’Allemagne, ni la dissolution de l’URSS.
Revenons en arrière et analysons
l’histoire du parti d’extrême droite, le Front national. En 1972, le Front
national a été crée pour être la vitrine électorale des mouvements d’extrême
droite comme Ordre nouveau, d’inspiration néofasciste. Ce mouvement regroupait alors
d’anciens membres d’Occident, autre mouvement connu dans les années 1960 pour
ses rixes violentes dans les universités, recrutant des étudiants (Alain
Madelin, Gérard Longuet en ont été les fondateurs et Patrick Devedjian en a fait
aussi partie) il a d’ailleurs été dissous en 1968. On retrouve M. Longuet avec
Claude Goasguen à la direction de ce mouvement, Ordre nouveau. Ce mouvement est
lui aussi dissous par décret du Conseil des ministres le 28 juin 1971 pour
« atteinte à la sûreté de l’État », en même temps que la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR) d’Alain Krivine et d’Henri Weber. On retrouve ensuite beaucoup de membres d’Occident
par la suite au GUD (Groupe Union Défense), groupuscule d’extrême droite, qui a
aussi alimenté en contingents le Front national à sa création. Gérard Longuet
rédigea même le programme économique du FN à sa création en 1972. C’est Jean-Marie
Le Pen, ancien député poujadiste dans les années 1950, qui a été désigné chef de
file à partir de 1972 de ce qui n’était encore considéré qu’une obscure
formation d’extrême droite, le Front National.
Dès le départ il se disait de la
« droite populaire, sociale et
nationale ». Son mouvement a connu une longue traversée du désert
jusqu’en 1983. Il ne dépassait pas les 1 % auparavant. C’est lors de l’élection
municipale partielle de Dreux en septembre 1983, que le FN a fait irruption sur
la scène politique et médiatique pour la première fois. Jean-Pierre Stirbois,
candidat FN dans cette ville, arrivé en
tête au premier tour avec 18,72 % des voix, remporta la mairie de Dreux au
terme du 2nd tour, par un accord avec le candidat RPR (Rassemblement
Pour la République,
ancêtre de l’UMP), Jean Hieaux (le seul que le parti chiraquien ait fait dans
son histoire avec le parti d’extrême droite). En octobre de la même année,
c’est à Aulnay-sous-Bois (Seine Saint-Denis), que le front national faisait une
autre percée électorale avec 9, 3 % des vois. Déjà le journaliste Alain Rollat,
disait dans Le Monde, Dossiers et
documents, Le Bilan du septennat (1981-1988) : « Cette flambée d’extrême-droite, dont
personne ne peut préjuger la durée, a constitué le phénomène le plus important,
apparu dans la vie publique française depuis l’élection de M. Mitterrand à la
présidence de la République [1]». Pierre
André Targuieff formule l’expression « national-populisme » à propos du FN dès 1984, reprise par
l’historien contemporanéiste Michel Winock[2]. 1983
marque ainsi le début de la « divine
surprise ». Les élections à partir de 1983 sont en effet l’objet de débats
autour de l’immigration, notamment clandestine, ce qui donne de l’eau au moulin
au discours de Jean-Marie Le Pen. La gauche se référant à ses valeurs morales
et à la longue histoire d’accueil d’immigrés en France tandis que la droite
faisant de la lutte contre l’immigration clandestine et l’affirmation de
l’identité nationale, un de ses chevaux de bataille. Lors des élections
législatives de mars 1986, le parti de Jean-Marie Le Pen obtint même ses
premiers députés à l’Assemblée (dont ce dernier lui-même). À l’élection
présidentielle de 1988, le candidat Jean-Marie Le Pen recueillit un nombre de
voix important (14,39 % des voix), alors que les sondages ne lui avaient prédit
que 11 % des voix. Il arrivait notamment en tête dans des régions où par la
suite il a continué depuis à faire des scores élevés : Provence-Alpes-Côte
d’Azur, Languedoc-Roussillon et Alsace. C’est vraiment à partir de 1988 qu’il a
fait des scores élevés au niveau national. Son électorat s’était à la fois
« nationalisé » géographiquement mais aussi sociologiquement. Ceux
qui votaient pour lui étaient notamment d’anciens électeurs communistes et
socialistes : les ouvriers. On estime ainsi que 27 % de son électorat en
1988 vient de celui de M. Mitterrand en 1981, soit plus de 600 000
électeurs. Mais il comptait aussi les artisans et les commerçants,
traditionnellement sensibles au discours de droite voire d’extrême droite
depuis Pierre Poujade.
Lors des élections européennes du
18 juin 1989, Jean-Marie Le Pen, éternel tête de liste Front national, obtint
11,73 % des voix. Le 3 décembre 1989, lors d’une élection législative partielle
à Dreux, la candidate FN, Marie-France Stirbois était élue avec 61,30 % des
voix au second tour contre un candidat RPR. Un véritable plébiscite. Ce même
jour, dans une élection cantonale à Salon-de-Provence, le candidat Front
National était élu dans un canton détenu depuis 50 ans par le Parti socialiste…
et à Marseille, à une élection cantonale, la candidate FN, Marie-Claude
Roussel, avait frôlé de peu la victoire avec un score de 47,18 %. Déjà à
l’époque, Jean-Marie Le Pen parlait d’un « véritable tremblement de terre [3]».
L’immigration avait déteint sur les thèmes politiques et les préoccupations des
Français. Tous les hommes politiques s’étaient emparés de cette question. Le
Premier ministre, Michel Rocard, affirmant même lors d’une émission télévisée, « Sept
sur Sept » sur TF1, le 3 décembre 1989, que « la
France ne pouvait
pas héberger toute la misère du monde [4]». Formule
qui a eu de beaux jours devant elle. L’insécurité allait de pair avec
l’immigration dans les débats.
Les élections européennes du 12
juin 1994, « appar[urent] comme une
débâcle pour les socialistes [5]». Déjà
à l’époque, augurant le scrutin de 2014 ! Le Front national faisait un
score légèrement inférieur à cette élection qu’à celle de 1989 : 10,51 %
contre 11,73 % en 1989. À partir de 1995, l’électorat frontiste s’était
enraciné. Mais son électorat avait déjà opéré une mue. Le politologue Pascal
Perrineau parle à son sujet de « gaucho-lepénisme ».
« Il est désormais plus fortement
corrélé avec l’implantation des ouvriers qu’avec le taux des étrangers [6]». Le
score de Jean-Marie Le Pen aux élections nationales fut encore amplifié lors
des présidentielles de 1995 (15 %). Soit plus de 4 500 000 voix. Toujours
en 1995, le Front national enlevait même des villes à ses adversaires lors
des élections municipales : Vitrolles, Orange, Marignane et Toulon. En 1997, lors des législatives anticipé du 25 mai,
le Front national parvenait à son meilleur score pour des élections
législatives avec près de 15 % des voix. Le Front national pouvait même se maintenir
dans 133 circonscriptions où ses candidats avaient obtenu au moins 12,5 % des
voix.
Mais après ces élections, le
parti d’extrême-droite est divisé, tiraillé entre les partisans d’un
rapprochement avec la droite républicaine derrière la bannière de Bruno Mégret,
un jeune polytechnicien froid et cynique, fils de conseiller d’État, né en 1949
et d’un autre côté le vieux chef baroudeur, Jean-Marie Le Pen et ses proches
qui sont réticents avec un tel rapprochement, surtout quand on sait la haine
que ce dernier voue au Président de la République d’alors, Jacques Chirac, qui était
aussi le chef tutélaire de la droite. Une scission éclate alors entre les deux
ténors du parti. La rupture est officielle après le congrès extraordinaire du
Front national des 23 et 24 janvier 1999 à Marignane. Bruno Mégret y est élu
président du parti. Mais le vieux chef, Jean-Marie Le Pen n’entendait pas se
laisser pousser vers la sortie de la sorte ! Après avoir exclu ses
adversaires, celui-ci en appelait aux tribunaux qui lui donnèrent raison et M.
Mégret dut appeler son parti, le Mouvement National Républicain (MNR).
Jean-Marie Le Pen était ainsi toujours chef incontesté de son parti, le Front
National.
Aux élections européennes du 13
juin 1999, son électorat s’était émietté entre l’abstention (environ un tiers),
environ un tiers aussi avait voté pour la liste de M. Le Pen (5,74 %) et un léger
tiers (3,31 %) avait voté pour celle du « félon », du « naboléon »,
c’est-à-dire Bruno Mégret, ainsi que l’appelait M. Le Pen. L’abstention avait
atteint encore un niveau record : 53 % ! (pour comparaison elle était
de 51,19 % en 1989 et 47,25 % en 1994). Lors des présidentielles de 2002, coup
de tonnerre, Jean-Marie Le Pen était au second tour contre Jacques Chirac. Le
candidat socialiste d’alors, M. Lionel Jospin, n’ayant pas passé le cap du 1er
tour. Au second tour, Jacques Chirac, candidat du camp républicain, était triomphalement
réélu avec 82 % des voix.
Mais Le Front national n’a pas de
ligne idéologique claire et bien définie. Cela est flagrant depuis ces
dernières années. Pour preuve, selon que ses chefs de file ou ses candidats
sont dans le Nord ou dans le Sud, ils adaptent leur discours selon la réalité
du terrain. Ainsi, Marine le Pen a un discours axé sur l’État-providence dans
la circonscription où elle s’est présentée lors des législatives de juin 2012,
à Hénin-Beaumont, tandis que sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, qui est aussi la
petite fille du « vieux chef », Jean-Marie Le Pen, et qui s’est
présentée à la même époque dans le Sud de la France, reste fidèle aux dogmes du poujadisme.
Elle est pour une « synergie des
droites [7]», s’est dite « séduite »
par le discours de Nicolas Sarkozy en 2007[8]. « Dans ma génération, il y a une forte critique de l'assistanat. Il faut retrouver
le goût du travail. Toute la valeur au labeur ! », précise la
benjamine de l’Assemblée nationale, députée du Vaucluse. Elle fait remarquer
qu’elle est plus pour « des alliances d'hommes » que des alliances de parti entre
l’UMP et le FN stricto sensu. « Le FN a essayé de s'adapter
aux réalités du terrain » justifiait Louis Aliot à propos des élections régionales en 2010, quand
le double discours était déjà à l’œuvre entre Marine Le Pen dans le Nord et son
père dans le Sud, où ce dernier parlait de « l'invasion migratoire ».
Le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) des Bouches-du-Rhône vient
même de lancer un observatoire des villes gérées par le Front national, sur
internet, ouverte à tous les citoyen(ne)s pour dénoncer d’éventuels dérapages
antirépublicains qui pourraient être commis dans les villes gagnées par le
Front national aux dernières élections municipales : http://obs-mairiesfn.mjs13.info/.
Ce n’est pas un hasard si ce parti est combattu par toutes les autres
formations politiques. Les idées du Front national sont non seulement
irréalistes, mais elles sont dangereuses en plus. Pour ne prendre qu’un
exemple, celui des immigrés, thème cher à l’extrême droite mais qui s’appuie
sur des mensonges et qui discrimine les citoyen(nes). Alors que notre pays n’est
pas « envahie » par des « hordes d’immigrés »,
contrairement à ce que voudrait faire croire les caciques du parti frontiste,
Florian Philippot, jeune énarque (le patriarche Jean-Marie Le Pen a toujours
dénigré ce corps de hauts fonctionnaires !), dont la mission est de donner
une image de respectabilité au parti d’extrême droite, affirme vouloir réduire
le nombre d’ « entrants » à 10 000. Il y a actuellement
environ 200 000 entrées d’immigrés chaque année en France. En 2010,
194 000 étrangers ont reçu un titre de séjour. Parmi eux il faut compter à
la fois les immigrés d’origine extra-européenne mais aussi les étrangers qui
étaient sur le sol national jusqu’alors et qui étaient en situation irrégulière.
La France est
ainsi le 4ème pays des pays de l’OCDE (Organisation du Commerce et
du Développement Économique) le plus fermé à l’immigration derrière le Japon et
la Russie[9].
De plus, les élus frontistes entretiennent exprès la confusion entre
« immigrés » et « étrangers ». « Immigrés » et « étrangers »
ne sont en effet pas des termes interchangeables. Un immigré peut ne pas
posséder la nationalité du pays qui l’a accueilli, dans ce cas il ou elle est
étranger, mais inversement si il ou elle a la nationalité française, il ou elle
ne sera plus étrangère bien qu’étant toujours immigré. CQFD ! « Il faut dénoncer l’amalgame trompeur que
recouvre l’appellation “immigré“ et distinguer les étrangers d’origine
européenne, faciles à intégrer et ceux issus du Tiers-Monde, difficilement
assimilables, en raison à la fois de leur importance numérique et de leur
spécificité culturo-religieuse, qui les incite à refuser l’assimilation sous la
poussée d’éléments intégristes ou à l’invitation des gouvernements de leur pays
d’origine [10]»,
disait déjà en 1986 le vieux perturbateur de la vie politique française, M.
Jean-Marie Le Pen. Le discours était donc déjà erroné !
Le Front national insiste beaucoup aussi sur la « préférence nationale » (avant
2012) ou « priorité nationale »
(depuis 2012) consistant à réserver en priorité les emplois, les logements et
les aides sociales en priorité aux nationaux. Or, une telle pratique est
contraire au préambule de la
Constitution de 1946, qui stipule que nul ne doit être privé
de son droit à l’égalité devant la
Loi, de son droit au travail, à la grève, au logement, à
l’éducation et à la Sécurité
sociale, en raison de son origine, de sa religion, de ses opinions politiques,
philosophiques, de son orientation sexuelle. Ce préambule lui-même reprenant
l’article 1er de la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789,
qui a affirmé que « tous les hommes naissent libres et égaux en
droits ».
Voici ce que le programme du Front national avance comme solutions à
propos de l’immigration :
« Plus généralement les
entreprises se verront inciter à prioriser l’emploi, à compétences égales, des
personnes ayant la nationalité française. Afin d’inciter les entreprises à
respecter cette pratique de priorité nationale, une loi contraindra Pôle emploi
à proposer, toujours à compétences égales, les emplois disponibles aux
demandeurs d’emploi français. Les administrations respecteront également ce
principe, et la liste des emplois dits « de souveraineté » sera
élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront
réservées aux personnes ayant la nationalité française. La priorité nationale
doit s’appliquer à tous les Français, quelle que soit leur origine. Les
étrangers qui travaillent et qui cotisent bénéficieront du fruit normal de
leurs cotisations. Les étrangers en situation légale qui ne trouvent pas de
travail seront incités à retourner dans leur pays au bout d’un an d’inactivité
et leurs cotisations retraites leurs seront restituées sous forme de capital.
La priorité nationale s’appliquera également en matière de logement social où,
à situation égale, le logement sera d’abord proposé aux personnes ayant la
nationalité française. Les allocations familiales seront réservées aux familles
dont un parent au moins est français ou européen[11]».
Le Front national prône donc une politique xénophobe et
discriminatoire. L’historien et politologue français Patrick Weil affirme que
« la caractéristique de la
politique française d’immigration est (…)
de faire l’objet d’une politisation maximale afin de faire croire en la
maîtrise complète et permanente du nombre et de l’origine des étrangers qui
s’installent en France [12]».
Au moment où nous commémorons les 70 ans de la Bataille de Normandie, qui
a duré du 6 juin au 21 août 1944, et qui a opposé les forces alliés (Etats-Unis
d’Amérique, Royaume Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, France par
l’intermédiaire des FFL (Forces françaises libres) dans le Commando Kieffer,
mais aussi Belgique, République tchèque, Norvège et Pologne) à l’Allemagne
nazie, il est bon de rappeler le mal que représente l’extrême droite et le
combat qu’il a fallu mener pour en venir à bout.
Marc
Gidrol
[1] Alain Rollat, Le Monde, Dossiers et documents, Le Bilan du
septennat (1981-1988), p. 79.
[2] Michel Winock, Nationalisme, Antisémitisme et Fascisme en
France, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 41.
[3] Encyclopædia Universalis, Universalia 1990, p.90.
[4] Jean-Jacques Becker,
Crises et alternances 1974-2000, Paris, Éd. du Seuil, collection points
histoire, 1998, 2ème édtition 2002, p. 513.
[5] Thomas Ferenczi,
« L’année politique », in Encyclopædia
Universalis, Universalia 1995, p.
216.
[6] Jérôme Jaffré, « Les
changements de la France
électorale », « Analyse régionale de la sociologie du vote
présidentiel, in SOFRES, L’État de l’opinion,
1996, p. 138.
[7] Abel Mestre, « Dans
la famille Le Pen, Père, fille et petite fille ont chacun leur discours, Le Monde, 7 août 2013, sur le site
internet du Monde à l’adresse : http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/08/07/dans-la-famille-le-pen-pere-fille-et-petite-fille-ont-chacun-leur-discours_3458469_823448.html,
consulté le 7 juin 2014.
[8] Le Monde du 30
avril 2013.
[9] La Gauche forte, Le Guide Anti-FN, Paris, Éditions J’ai
Lu, collection Librio, 2014, p. 56.
[10] Jean-Marie Le Pen, Pour la France, Paris, Éditions Albatros, 1986, cité in La Gauche forte, op. cit., p. 55.
[11] Le Projet de Marine Le
Pen, site officiel du Front national, http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/autorite-de-letat/immigration,
consulté le 7/06/2014.
[12] Patrick Weil, Le Monde, 14 janvier 2009, cité in La Gauche forte, op. cit., p. 67.
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