Caricature sur le label "Origine France Garantie" (Source : Dijonscope.com). |
Le label « made in France » est brandi haut et fort en ces temps électoraux. On redécouvre les vertus de la production française et de sa consommation en termes de qualité, de faible impact écologique et même d’emplois. Déjà à la fin du XIXème siècle, les Français s’insurgeaient contre les jouets allemands vendus dans l’hexagone. À partir du début des années 1870, en effet, l’économie française traversait une crise due en partie à une baisse des exportations de biens manufacturés dans le commerce international. Mais aussi et surtout due aux préliminaires de paix à Versailles le 21 février 1871 et au traité de Francfort du 10 mai de la même année entre les Français et les Allemands, qui obligeaient les Français à verser une indemnité de 5 milliards en or, en marks ou en devises étrangères. L’agriculture, secteur important de l’économie à cette époque encore, subissait une dépression à partir de 1872. Années de « grande dépression » jusqu’en 1906 pratiquement, touchant de plein fouet la France. De plus, la baisse démographique entraînait une baisse de la demande des biens de consommation et d’investissements sociaux. Là encore, la crise économique n’avait qu’une seule cause : la crise boursière et financière à partir de 1882-1883 déclenchée par une surproduction industrielle. Étrange ressemblance avec notre époque. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le gouvernement et les élus politiques vantaient les produits français et le protectionnisme. Comme actuellement pour les candidats à la prochaine élection présidentielle et le chef de l’État, Nicolas Sarkozy, sauf que le protectionnisme n’est préconisé que par la candidate du Front national, Marine Le Pen et le socialiste Arnaud Montebourg. Le protectionnisme a été mis en place à partir de 1892 par le tarif Méline sur les droits douaniers. Voilà ce qu’on pouvait lire dans un célèbre journal local de Brest (L’Union Républicaine du Finistère) en 1886 :
« Sus aux jouets allemands !
Nous empruntons au journal La mère et l’enfant l’article suivant, tout d’actualité, de notre savant ami, M. le docteur Caradec :
Ah ! Vraiment voilà qui est trop fort ! Ces Teutons d’outre-Rhin ne se contentent pas de nous avoir volé deux provinces et les milliards que l’on sait. Voilà quinze ans, au lendemain même de la paix de Francfort, qu’ils nous déclarent sur le terrain industriel une guerre impitoyable et sans merci, qui si on n’y prend garde aboutira à un Sedan économique.
En 1870, ils nous inondaient de leurs masses faméliques et âpres au pillage organisé. Aujourd’hui, grâce à cet infernal traité de Francfort, grâce aussi, nous allons le voir sur le vif tout à l’heure, à la complaisance criminelle de certains négociants qui n’ont de Français que le nom, ils nous écrasent et nous inondent de leurs produits !
Nous n’avançons rien qui ne soit parfaitement connu de toute l’Europe, en disant que l’ouvrier français sait donner un cachet artistique et un goût parfait à tous les produits qui sortent de ses mains. En quels états, mon Dieu, reviennent-ils de chez ces Tudesques ! J’en appelle à vous autres, pièces d’orfèvrerie fouillées comme des dentelles de Malines, meubles en marqueterie fine, cuivres repoussés d’un relief si vivant, objets d’art de toutes espèces, divers bibelots qui avaient été la gloire et l’honneur de notre France, alors que le bon marché n’avait pas encore tué le goût ! Ces excellents Germains, l’honnêteté et la probité mêmes, vous copient mais en vous déformant, en vous enlaidissant, en vous retirant votre cachet léger, gracieux et lestement troussé, puis ils vous renvoient en France, sous marque française, et le tour est joué !
Et nous nous laisserions ainsi duper !
Ah ! Par exemple, voilà qui dépasserait la mesure de la prudence et du recueillement !
Dans cette revue toute spéciale, je ne veux pas sortir de mon cadre. De ce problème économique d’une portée très générale, je ne veux retenir qu’un point, un petit point, c’est celui de l’envahissement du marché national par les jouets allemands.
S’il était autrefois une industrie vraiment française, c’était celle de ces bibelots variés, amusement des enfants et tranquillité des parents, qui se fabriquaient sur tous les points de Paris pour aller s’étaler, aux environs du premier de l’an, dans les petites baraques ou dans les bazars de la province. Eh bien à l’heure qu’il est il paraît que cette industrie comme tant d’autres hélas ! est en train de mourir de sa belle mort.
Les pauvres gens si intéressants qui fabriquent ces jouets en chambre, dans le milieu sain et moral de la famille, avec leurs doigts pour instruments et leur imagination pour guide, ces pauvres gens, privés de travail, sont plongés dans la plus noire misère.
Et ce bel œuvre, parce que le jouet allemand, les poupées de Nuremberg, les soldats en plomb de Munich et les bonshommes en bois blanc de la Forêt noire nous envahissent de tous les côtés avec une véritable obsession ! *»
Article, avouez le, qui pourrait être écrit de nos jours, sauf que ce ne sont plus les jouets allemands qui nous envahissent mais les jouets made in China. En revanche, il est bien vrai que notre économie est réglée sur celle de l’Allemagne. Comme à l’époque du chancelier Bismarck. Ce qui a fait dire à un célèbre député socialiste (ndlr, Arnaud Montebourg) que la Chancelière Angela Merkel est un nouveau Bismarck.
En tout cas, d’après un sondage de l’Ifop du mois d’octobre dernier, 72 % des Français se disaient prêts à acheter plus de produits fabriqués en France. Le Président de la République met en avant le label « Origine France Garantie ». Mais, il suffit que 50 % au moins de la valeur ajoutée du produit soit assurée en France et qu’il en prenne ses caractéristiques essentielles pour apposer ce label. Ce n’est donc pas le label qui garantie une production 100 % française non plus. En Bretagne, depuis déjà de nombreuses années, un label existe, c’est le « Produit en Bretagne », qui met en avant des produits bretons dans le domaine de l’agro-alimentaire, du textile et du culturel. Et ça marche. Le label va même être prochainement en breton, « Produet e Breizh ».
(*Extrait de la première page du dernier numéro de l’Union Républicaine du Finistère, ancêtre de La Dépêche de Brest, elle-même ancêtre du Télégramme, le 18 novembre 1886, reproduit dans le livre de Jean-Pierre Coudurier, La Dépêche de Brest, naissance et avatars d’un journal de province témoin de son temps, Brest, Le Télégramme éditions, 1999, p.10 ).
Marc Gidrol
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