En cette période de dernière ligne droite électorale, beaucoup de promesses sont faites par les candidats à la magistrature suprême. La crise sociale domine et pèsera de tout son poids dans cette élection. C'est pourquoi, j'ai choisi de vous parler dans ce post-édito de la crise de la Sobrena, qui illustre aussi tant d'autres crises sociales dans notre pays : Arcelor- Mittal, PSA, …Voici l'historique, qui se veut aussi une synthèse de la crise de la réparation navale civile à Brest où l'essentiel de ce qu'il fallait en retenir s'y trouve :
La Sobrena, entreprise de réparation navale
civile de Brest, était en difficulté depuis juin 2011. Cette
entreprise symbolise à elle seule la crise de ce secteur industriel.
Depuis le 8 décembre dernier, elle était en redressement judiciaire
mais les salariés ont gardé espoir jusqu’à la reprise par le
groupe international Damen, le 30 mars 2012.
Origines de la crise
La Sobrena, située au port de commerce de Brest, a
pourtant des atouts : la forme de radoub n° 3, mesurant 80 mètres
de large et 420 mètres de long, ce qui en fait une des plus grandes
du monde. Tous les navires peuvent ainsi être réparés en cale
sèche. La philosophie de l’entreprise est rappelée par son ancien
directeur, Michel Faou, sur le site internet de la société : «
Rapidité, qualité et prix sont les clés de notre succès et
continueront à attirer les clients dans le futur ». Mais les
problèmes ont commencé, d’après Olivier Le Pichon (secrétaire
de l’union local de la CGT), lorsque le contrat qui la liait avec
la compagnie pétrolière Shell pour réparer ses méthaniers a été
rompu en 2008. Son PDG, François Meunier « n’a pas su aller
chercher de nouveaux marchés ». Ce revirement de situation
arrive quand la crise économique s’intensifie et que les normes
changent pour la réparation navale.
Historique de la crise
Juin 2011, le carnet de commandes de l’entreprise
est vide. Fin septembre 2011, François Meunier, 58 ans, annonce son
départ de la direction et un possible dépôt de bilan. Les salariés
inquiets, organisent alors des démonstrations de force. Par exemple,
par une séquestration du PDG dans son bureau de Brest du 20 au 21
octobre 2011. Ils installent et repeignent aussi une étrave de
bateau, L’Espoir 2, sur la place de la Liberté à partir du
26 octobre pour montrer leur savoir-faire. Cette même étrave avait
déjà symbolisé une autre crise de la réparation navale dans la
cité bretonne, en 1987. Plusieurs tables rondes réunissant la
direction, les représentants syndicaux, l’État, la Chambre de
commerce et d’industrie de Brest (CCI), la Ville et la Région ont
lieu en octobre et en novembre. Le 8 décembre 2011, le redressement
judiciaire est prononcé par le tribunal de commerce de Brest. Cela
redonne de l’espoir car l’entreprise a 6 mois pour trouver des
repreneurs et surtout assainir la trésorerie. Deux administrateurs
judiciaires représentent l’entreprise. Leur rôle est de recouvrir
d’anciennes dettes, dont deux dettes d’un pétrolier algérien
réparé avant la mise en redressement judiciaire pour 2 M€ en
tout. L’entreprise décroche quelques réparations de navires. Un
car-ferry de la compagnie bretonne Brittany Ferries, L’Armorique,
du 15 au 26 novembre 2011, lui est confié. « C’était
symbolique et cela a rétabli la confiance, parce que la Sobrena peut
faire ce travail », justifie Olivier Le Pichon. Puis, des
travaux sont réalisés, en décembre sur la drague aspiratrice Le
Samuel Le Champlain et sur un navire de la Marine nationale, Le
Monge.
800 Manifestation pour la Sobrena le 4 février 2012 dans Brest. (Photo : | Marc Gidrol) |
Exit François Meunier remplacé à la tête
de la Sobrena par un nouveau directeur provisoire. Trois repreneurs
au total déposent leurs offres. Ce sont Gibdock, Damen et Eiffel. Le
premier est un groupe américain basé à Gibraltar, spécialisé
dans la réparation navale, mais « cette société a des
équipements plus réduits qu’à Brest », rappelle Guy
Thépaut, président de l’union départementale CFE-CGC du
Finistère, l’autre syndicat représenté à la Sobrena. Ensuite,
Damen, groupe hollandais de réparation navale. Et Eiffel, filiale du
groupe de BTP Eiffage, dont le cœur de métier n’est pas dans les
activités maritimes, mais il avait pourtant les faveurs du
gouvernement, contrairement aux syndicats, car « il était en
clause suspensive, c’est-à-dire qu’il exigeait d’avoir un
marché des énergies marines renouvelables (EMR) à Brest »,
rappelle le représentant de la CFE-CGC. Les syndicalistes
s’accordent pour dénoncer « une pression politique ». De
plus, les salariés soupçonnaient Eiffel de vouloir
« financer la réparation navale par des
subventions », selon M. Le Pichon. Ce qui aurait signifié à
terme qu’ « il n’y en eût plus à Brest », toujours
d’après ce dernier.
Au-delà des salariés, c’est toute une population
qui s’est mobilisée pour la survie de cette industrie locale, car
elle induit aussi un millier d’emplois sur le bassin de Brest.
Mobilisation visible lors des manifestations dans le centre-ville de
Brest ou lors de la pétition organisée par les syndicats qui a
réuni 23 000 signatures.
Philippe Poutou avec Olivier Le Pichon (à droite), à Brest, le 28 février 2012. (Photo : Marc Gidrol) |
Guy Thépaut, de la CFE-CGC 29 dans son bureau de Brest le 27 mars 2012. (Photo : Marc Gidrol) |
Épilogue
La Sobrena a été reprise par Damen le 30 mars.
C’est le groupe qui a recueilli les suffrages des salariés (80 %)
lors d'un vote dans l'entreprise, parce qu’il s’est engagé à
reprendre la totalité des salariés (210 personnes) sans perte de
salaires. Mais les représentants du personnel l'avertissent qu’«
il ne doit pas penser qu’il pourra imposer un modèle
d’organisation du travail et des conditions sociales dans
l’entreprise qui ne trouveraient pas l’accord des salariés ».
« Il n’est pas acceptable de recourir massivement à de
la main d’œuvre étrangère », prévient aussi Olivier Le
Pichon.
Au total, c’est un conflit social qui a embrasé
toute une ville depuis septembre dernier. Mais « sans la
détermination des salariés, cela fait depuis belle lurette qu’il
n’y eût plus de réparation navale civile à Brest », estime
même le responsable de la CFE-CGC du Finistère.
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