Les récits antiques, tirés de
l’histoire, mais aussi des mythes comme l’histoire des sœurs Tullia, filles de l’avant
dernier roi de Rome, Servius, et épouse pour l’une du dernier roi Tarquin Le
Superbe, ou encore les tragédies grecques comme Antigone de Sophocle (495-405 av. J-C.), écrite en 442-441 av.
J.-C., servent à éclairer l’actualité. Ces récits servent à merveille pour
expliquer la rivalité père-fille chez les Le Pen au Front national (FN), tant leur
relation vire à la tragédie grecque.
Alors que M. Jean-Marie Le Pen
s’est vu une nouvelle fois rappeler à l’ordre par sa fille, Marine Le Pen, et à
l’instigation de cette dernière, par le bureau exécutif du FN du 4 mai, après
sa réitération sur « les chambres à
gaz, détail de l’histoire » lors de l’émission Bourdin Direct sur RMC
et BFM TV au mois d’avril, et après ses propos au vitriol dans « le torchon antisémite qu’est Rivarol », selon M. Louis
Aliot, compagnon de sa fille, Marine Le Pen.
Le patriarche s’est vu exclu à
titre suspensif du FN et son titre de Président d’honneur du Front National
(FN) lui a été retiré lors de ce bureau exécutif. Un parallèle peut être fait
aussi avec le mythe d’Œdipe, autre célèbre tragédie de Sophocle, dans lequel le
fils tue son père, le roi de Thèbes, Laïos, et couche avec l’épouse de ce
dernier, Jocaste. Ce qui entraîne la malédiction sur toute sa descendance.
Jean-Marie Le Pen a prévenu que si sa fille, Marine Le Pen, voulait faire sans
lui, il « faudrait tuer le père »,
a-t-il menacé.
Il a condamné la « félonie » de sa fille, affirmant
même qu’il ne souhaite plus que sa fille porte le même nom de famille, car il
« n’aime pas les félons ».
Il prédit aussi que si sa fille est élue en 2017, « elle fera pire que le système UMPS » que les Le Pen condamnent
depuis plusieurs années. Mais pour en revenir à Marine Le Pen, les deux
personnages féminins que sont Tullia et Antigone, l’une odieuse, l’autre plus
sympathique, peuvent servir à l’expliquer.
La méchante Tullia, tout d’abord.
Elle et sa sœur, qui portent toutes les deux le même nom, avaient épousé chacune
les deux fils d’un ancien roi de Rome, Tarquin l’Ancien. L’un était très
ambitieux, Lucius Tarquin. L’autre, Arruns, ne l’était pas du tout. Ils étaient
ainsi chacun le pendant des sœurs Tullia. L’une était aussi très ambitieuse
(tout comme Mme Marine Le Pen), la méchante, et l’autre était à l’opposé. Sauf
que la méchante et ambitieuse Tullia avait épousé le frère falot tandis que
l’ambitieux était marié avec la
Tullia inoffensive. Mais
la bonne fortune de Rome ne dure jamais très longtemps.
La méchante Tullia se rapprocha
de Lucius Tarquin, celui qui est très ambitieux aussi, pour tuer leurs
conjoints respectifs et ourdir un complot contre leur propre père, le roi
Servius, pour prendre le pouvoir. Deux meurtres après, ils pouvaient enfin être
unis et mener à bien leur projet parricide contre le roi Servius. Avec l’aide
des sénateurs et de certains nobles dont Lucius Tarquin avait acheté le soutien,
Servius fut chassé du pouvoir brutalement.
La méchante, l’odieuse, la
perfide, la criminelle Tullia avait été saluer son mari, nouveau roi sous le
nom de Tarquin Le Superbe, au Forum à Rome et elle revenait dans sa maison
située sur l’Esquilin. La voiture de la reine Tullia rencontra le roi déchu,
son propre père Servius, allongé par terre dans une rue, le corps mutilé. À la
vue de ce sinistre spectacle, le cocher arrêta là tout net les chevaux. Tullia
prit alors les rênes et n’hésita pas à rouler sur le corps de son père. Ses vêtements,
ses mains et les roues de la voiture furent éclaboussés de sang. Ce meurtre ne
devait pas porter bonheur à celle-ci et à son mari, car son tyran de mari, fut
vite chassé du pouvoir et les Romains mirent fin à la royauté, en 509 avant J.-C. Ce parricide se
passa dans la rue Via Sceleratus Vicus,
ce qui veut dire en latin, la rue du Crime. Cette rue du Crime existe encore à
Rome. Elle a été rebaptisée en Via di S.
Pietro in Vincoli. Espérons que la rivalité père-fille chez les Le Pen ne
se terminera pas aussi violemment que comme ça.
L’autre référence est plus sympa pour Mme Le Pen. C’est le personnage d’Antigone, parée de toutes les vertus, dans l’imaginaire collectif et d’après la pièce de théâtre tragique de Sophocle. C’est la figure éternelle de la désobéissance à des lois jugées injustes et immorales. C'est aussi la figure éternelle du féminisme.
Antigone, fille du roi Œdipe et
Jocaste, s’oppose à son oncle Créon à propos des rites funéraires à accorder au
frère défunt de celle-ci, Polynice, voué à rester sans sépulture. Ainsi en a
décidé le roi de Thèbes, Créon, succédant à Œdipe et Jocaste après leur mort
tragique. Polynice a commis l’affront de combattre Thèbes en s’alliant avec la
cité ennemie, Argos. Tandis que son frère, Étéocle, resté fidèle à la cité de
Bacchus, Thèbes, et mort en la défendant dans un combat fratricide avec
Polynice.
C’est pourquoi, le roi Créon a
jugé bon d’offrir à la dépouille d’Étéocle un tombeau digne de ce nom et des
rites funéraires avec libations comme cela se pratiquait du temps de la Grèce antique. Mais pas pour
Polynice. Mais c’était sans compter sur l’esprit de désobéissance d’Antigone.
Celle-ci a contrevenu aux ordres de son oncle, en enterrant le cadavre de son
frère d’une fine couche de terre pour éviter qu’il ne soit mangé par les
aigles, les loups et les chiens. Voici sans doute le plus beau passage de la
pièce de Sophocle :
-
Créon :
« Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ? »
-
Antigone : « Oui,
car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! Ce n’est pas la Justice, assise aux côtés
des Dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées
aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez
puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois
non écrites, inébranlables, des dieux ! elles ne datent celles là, ni
d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois là,
pouvais-je donc par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez
les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand
bien même, tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis bien
haut pour moi, c’est tout profit : lorsque l’on vit comme moi, au milieu
des malheurs sans nombre, comment ne pas trouver profit à mourir ? Subir
la mort pour moi n’est pas une souffrance. C’en eût été une au contraire, si
j’avais toléré que le corps d’un fils de ma mère n’eût pas, après sa mort,
obtenu de tombeau. De cela, oui, j’eusse souffert ; de ceci je ne souffre
pas. Je te parais agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même
qui me traite de folle ».
-
Le
Coryphée : « Ah ! qu’elle est bien sa fille ! la fille
intraitable d’un père intraitable. Elle n’a jamais appris à céder aux coups du
sort ».
(Sophocle, Tragédies, Paris, Les
Belles-Lettres, collection Folio classique, 1962, p. 99-100)
Ainsi, le personnage d’Antigone
sied à merveille à Marine Le Pen. Elle ose s’opposer à son père. Elle contribue
à changer l’image du FN, malgré les dérapages verbaux de son père, en en
faisant un parti plus respectable, un parti républicain. Même si il y a
diverses traditions républicaines, chacune se rattachant à un parti politique. Le
général Boulanger au début de la Troisième République,
tribun populiste et d’extrême-droite, aussi se disait républicain.
On peut voir Marine Le Pen comme
la méchante Tullia ou comme la pieuse Antigone, suivant l’opinion qu’on a du
père, Jean-Marie Le Pen.
Marc Gidrol
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